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Pour une rémunération des artistes-interprètes sur internet

Tribune de Bruno Boutleux directeur général de l'Adami

 

Bruno Boutleux s’est exprimé dans Le film Français du 29 mai 2020

La crise sanitaire que nous vivons touche au plus fort tous les maillons de la chaine de la création et le monde de la culture met un genou à terre. Tournages à l’arrêt, salles de cinéma fermées, spectacles annulés… Nous vivons un bien mauvais film. Mais au milieu de ce chaos, un village résiste : la Silicon Valley. Disney + a connu un démarrage « lumière », si vous m’autorisez ce clin d’œil, Netflix a renforcé sa position sur ce marché naissant et les plateformes musicales ne sont pas en reste non plus.

Serions-nous sauvés ? Probablement pas totalement car de nombreux secteurs seront définitivement touchés. Mais cette crise agit comme un formidable accélérateur des tendances. La bascule vers « l’âge de l’accès » cher à Jeremy Rifkin, s’accomplit subitement bien plus vite que n’avaient pu le rêver les tenants du tout digital. Et nous nous réjouissons de savoir que le monde d’après est déjà à nos portes avec ses promesses d’abondance d’une offre culturelle pour tous.

Si, bien souvent, l’usage précède le droit, rendons hommage au législateur européen qui s’est très vite emparé du sujet numérique pour en encadrer les pratiques et veiller au respect du droit d’auteur et de l’exception culturelle. En la matière, l’Europe continue d’éclairer le monde et c’est heureux. Deux directives sont donc en cours de transposition dans notre droit national pour garantir à tous la juste protection que requiert la puissante émergence des services d’accès aux contenus culturels.

Pour les artistes-interprètes, le législateur européen a saisi l’enjeu en consacrant un point longtemps attendu : une « rémunération appropriée et proportionnelle à la valeur économique réelle ou potentielle » des droits qu’ils cèdent pour l’exploitation de leurs enregistrements. Elle est acquise en France aux producteurs et aux auteurs depuis toujours. Jamais elle ne le fut pour l’immense majorité des artistes-interprètes.

Mais s’il est explicite sur le principe, l’eurotexte l’est bien moins sur le « comment » et si nous n’y prenons garde, il pourrait nous inviter à nous disputer entre partenaires, artistes, auteurs et producteurs, la même part d’un gâteau qui grossit globalement de 25% par an. Or, c’est précisément la méthode qui nous est proposée par le gouvernement dans le cadre des transpositions en cours.

Selon quelle logique, pour l’exploitation de leur travail, les artistes-interprètes devraient-ils se servir dans l’assiette de leur voisin ?

Selon quelle logique, contrairement aux autres, l’artiste-interprète ne pourrait-il pas recevoir une partie de la valeur qu’il a contribué à créer, directement là où elle se trouve : chez les plateformes de streaming ? L’artiste-interprète serait-il un maillon second rang dans la chaine de création ? Impensable. Sinon pourquoi demanderait-on aux comédiennes et comédiens d’assurer la promotion de leurs films, capitaliserait-on sur leur présence au générique et miserait-on autant sur l’identification du public à leur égard ?

Artistes et producteurs, partenaires indéfectibles, doivent ensemble dire stop à la logique stérile du face à face qui, en matière de droits issus du numérique, n’a strictement rien donné. Les débats bien trop violents et le lobbying intense qui ont récemment accompagné la transposition nationale du principe européen de la rémunération proportionnelle en sont le dernier exemple. Nous n’en voulons plus.

Seul un droit à rémunération, une part raisonnable du chiffre d’affaires des plateformes de streaming transférée directement aux artistes-interprètes, permettra tout à la fois de répondre à l’impératif européen d’une rémunération proportionnelle, d’éviter l’affrontement mortifère de ces partenaires indissociables que sont les artistes, les producteurs et les auteurs et de résoudre définitivement la question de la rémunération des artistes-interprètes sur Internet.

Ce droit à rémunération est la revendication de toutes les organisations européennes d’artistes-interprètes. Il est en place avec succès en Espagne, devrait l’être bientôt en Suède et est en discussion partout en Europe dans le cadre des transpositions de la Directive droit d’auteur.

La pandémie et ses conséquences économiques, encore non mesurables à l’heure où cette tribune est publiée, nourrit nécessairement la réflexion de tous sur ce que nous faisons de nos actes, collectifs et individuels. Les drames que nous vivons de près ou de loin ne sont pas sans conséquences sur notre vision du monde et du rôle que chacun entend y jouer demain.

Il en va ainsi de la Culture. Nos films, nos musiques et les artistes qui les incarnent auprès du public allègent la souffrance et l’anxiété de chacun. De fait, cette crise a révélé que, loin d’être superflue, la culture était vitale à tous. C’est une chance qu’il faut saisir. Cette crise démontre que la culture est certes un moteur économique d’une rare puissance, comme nous le prouve le succès des plateformes digitales ou, en creux, les conséquences économiques désastreuses de l’annulation des festivals. Mais la culture incarne mieux encore un pouvoir bien plus essentiel que l’humanité entière a partagé dans l’intimité forcée de son confinement : elle est un bienfait de première nécessité. Aussi vitale que l’eau que nous buvons et l’air que nous respirons. Comment dès lors laisser sans réponse la question posée par les artistes-interprètes d’une juste considération de leur contribution à ce bien commun ?

Bruno Boutleux, directeur général de l’Adami.

> Tribune de Bruno Boutleux (pdf)

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